Peut-on encore «dégraisser le mammouth» ? Le groupe France Télévisions, dont les capitaux propres sont désormais inférieurs à la moitié du capital social, se retrouve dans une situation alarmante. Selon un rapport dévastateur de 166 pages publié ce mardi 23 septembre par la Cour des comptes, l’entreprise est menacée de dissolution d'ici à la fin 2026. Cette analyse, qui passe au crible notamment les salaires et les coûts des comités d'entreprise, soulève des questions cruciales sur l'avenir du service public audiovisuel.
EN BREF
- France Télévisions pourrait faire face à une dissolution si des mesures ne sont pas prises d'ici fin 2026.
- Les comptes du groupe sont dans le rouge, avec un déficit cumulé de 81 millions d'euros entre 2017 et 2024.
- Une renégociation de l'accord collectif de 2013 est jugée indispensable pour assurer la viabilité de l'entreprise.
Le groupe, qui dispose d'un budget de 3,3 milliards d'euros pour 2024—dont 2,53 milliards proviennent de crédits publics équivaut presque à la somme des deux plus grands groupes privés, TF1 et M6, dont les chiffres d'affaires atteignent respectivement 2,3 milliards et 1,3 milliard d'euros. Avec près de 9000 employés, France Télévisions édite cinq chaînes nationales accessibles en TNT, deux plateformes numériques et possède un large réseau d'antennes régionales. Ce mammouth audiovisuel demeure, malgré sa taille, vulnérable.
Selon la Cour des comptes, France Télévisions est le leader en matière d'audience. La part d'audience du groupe, première source d'information des Français, a augmenté de 1,5 point depuis 2017 pour atteindre 29,8%, portée par la forte progression de France 2. En parallèle, 75 % des Français font confiance à l’entreprise publique, contre 54 % pour les chaînes privées. Le numérique n'échappe pas à cette tendance, avec 35 millions de visiteurs uniques mensuels pour la plateforme france.tv.
Une situation financière «non soutenable»
Cependant, derrière ces bons chiffres se cache une réalité financière préoccupante. France Télévisions vit une dégradation continue de ses finances, et les magistrats de la Cour soulignent qu'elle est désormais dans une situation «non soutenable». Les capitaux propres sont tombés de 294 millions à 179 millions d'euros en huit ans, tandis que le déficit cumulé atteint 81 millions d'euros.
Cette situation critique pousse l'État actionnaire à envisager des mesures rapides avant le 31 décembre 2026, au risque d'être contraint à la dissolution. Avec l'élection présidentielle de 2027 à l'horizon, France Télévisions risque de devenir un enjeu politique majeur. Delphine Ernotte, présidente du groupe, a lancé un débat en qualifiant CNews de «chaîne d'extrême droite», provoquant des réactions vives de la droite, y compris de Marine Le Pen.
Moderniser le cadre social
Au-delà des enjeux financiers, le rapport critique également l'organisation interne du groupe. L'accord collectif de 2013 est décrit comme un cadre trop rigide, freinant l'adaptabilité face à l'évolution rapide des technologies. Les magistrats s'inquiètent des 160 métiers enfermés dans un système archaïque, limitant ainsi la polyvalence et l'évolution des compétences des salariés.
La rigidité salariale, couplée à des avantages parfois jugés excessifs, alimente la hausse des coûts. Par exemple, le coût annuel des voitures de fonction pour certains cadres s'élève à 1,7 million d'euros, et les comités sociaux et économiques gèrent une enveloppe de 14,2 millions d'euros.
Les défis de la masse salariale
Malgré une réduction des effectifs de 10,3 % entre 2017 et 2023, les dépenses de personnel n'ont diminué que de 1,95 %. Cette masse salariale, avec un salaire moyen s'élevant à 71 490 euros bruts annuels, constitue un véritable talon d'Achille pour France Télévisions. De plus, un petit nombre de salariés perçoit des salaires disproportionnés.
La Cour des comptes appelle à une renégociation urgente de l'accord collectif pour rompre avec les pratiques qui freinent l'entreprise. Delphine Ernotte a confirmé la nécessité de réévaluation des métiers et de la structure organisationnelle, en soulignant l'importance de s'adapter aux évolutions.
Difficultés d'ordre technologique
Les défis technologiques sont également au centre des préoccupations. Le rapport insiste sur la nécessité d'investir pour améliorer ses offres face à la concurrence croissante des plateformes de streaming. La transformation numérique est essentielle pour maintenir la position de France Télévisions dans l'univers médiatique.
Néanmoins, la situation financière dégradée du groupe limite ses capacités d'investissement. Le rapport de la Cour des comptes démontre qu’un amenuisement des fonds propres compromet sérieusement l’avenir des projets structurants.
Comme toute entreprise, France Télévisions doit absolument faire évoluer ses métiers et son organisation. Faute d'une décision rapide de l'État, soit une recapitalisation massive, soit une réduction du capital social, le groupe public est confronté à un avenir incertain, voire à la précarité. D'ores et déjà, l'effritement de son statut public évoque un changement de paradigme dans la façon dont les Français pourraient bientôt consommer l'information.