«Cinq dollars par crédit pour un pays aussi riche que Madagascar, c'est injuste! » déclarait Max Andonirina Fontaine, ancien ministre de l'Environnement et maintenant défenseur de la « justice carbone » en Afrique. Cette phrase, prononcée lors du Sommet pour le climat qui s'est tenu en septembre dernier à Addis-Abeba, résume l'indignation d'un continent face à un système économique mondial qui impose des prix sans tenir compte des réalités locales. La dynamique des crédits carbone, un mécanisme visant à lutter contre les pollutions, pose problème pour l'Afrique, responsable d'environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre mais qui en subit le plus durement les effets.
EN BREF
- Les crédits carbone, initialement conçus pour corriger les inégalités sur le marché climatique, restent largement inaccessibles aux pays africains.
- Le FMI et la Banque mondiale recommandent une hausse significative du prix de la tonne de carbone pour l'Afrique.
- Des initiatives locales comme celle de l'Éthiopie s'attaquent à la nécessité d'un cadre législatif commun pour encadrer les échanges de crédits carbone.
Cette situation met en lumière la nécessité de réformes profondes dans les pratiques européennes et américaines en matière de tarification carbone. Les crédits carbone ont été introduits par le protocole de Kyoto en 1997, promettant de rétablir un équilibre en favorisant la réduction des émissions de CO2. L'article 6 de l'accord de Paris, signé en 2015, a cherché à établir un cadre pour certifier et échanger ces crédits à l'échelle mondiale. Malgré cela, les pays africains restent sous-évalués sur ce marché, mal desservis par des tarifs inéquitables.
La mise en place d'un cadre africain pour les crédits carbone
La déclaration du sommet a appelé à l'élaboration d'un plan d'action africain dédié aux marchés du carbone, symbole d'une prise de conscience collective. Ce plan demande aux États de soutenir leurs capacités nationales en garantissant une régulation stricte et une transparence dans la distribution des bénéfices liés à ces projets. La demande de meilleures pratiques se fait de plus en plus pressante.
Nassim Oulmane, directeur de la section de l'économie verte et bleue à la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique (CEA), met en avant l'importance d'une coopération régionale. Une véritable synergie entre les pays pourrait permettre une certification plus rapide et fiable des crédits carbone, offrant ainsi un meilleur positionnement sur le marché international.
Pour illustrer cette dynamique, Oulmane évoque l'exemple du Gabon, qui renforce son système de mesure, de vérification et de reporting pour ses crédits carbone forestiers. Ce pays aspire à partager son expertise avec celles de ses voisins moins bien dotés. Une telle collaboration pourrait enrichir les nations du bassin du Congo sans nécessité d'importer des compétences à un coût prohibitif.
Divers défis et perspectives d'avenir
Les discussions autour des taxes carbone sont éminemment sensibles, en particulier lorsque l'on considère les inégalités entre pays. Oulmane souligne avec force que l'Afrique, malgré ses faibles niveaux de pollution, doit se battre pour une tarification équitable. Sans une justice qui tienne compte des réalités continentales, les efforts pour réduire les émissions pourraient aggraver la précarité de certaines nations, déjà éprouvées par le changement climatique.
«Nous revendiquons la souveraineté sur les données climatiques. Les données climatiques ne relèvent pas seulement de la science : elles constituent la nouvelle monnaie du pouvoir », a insisté le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, lors du sommet.
Face à ce défi, l'Éthiopie développe son propre cadre législatif sur les crédits carbone, qui sera présenté au Parlement dans les mois à venir. Son objectif principal est de maximiser la participation au marché international tout en répondant aux préoccupations nationales en matière de climat et de développement.
La mise en œuvre d'un prix de référence pour la tonne de carbone pourrait permettre de structurer le marché de manière plus équitable. Les pays africains sont à la croisée des chemins : doivent-ils continuer à répondre aux demandes des marchés étrangers ou affirmer leurs besoins de développement durable?
Cette réflexion sur les crédits carbone s'inscrit dans une quête plus large de reconnaissance de la place de l'Afrique dans les enjeux mondiaux de climat. Le chemin à parcourir reste long, mais l'engagement croissant des États africains pourrait ouvrir de nouvelles voies de développement, plus justes et durables.