Jeudi 26 juin, autour d'une table de pique-nique sur les pelouses de Clichy-sous-Bois, les souvenirs affluent pour quelques membres fondateurs de l'association AClefeu. Ils se remémorent les nuits blanches et les tensions palpables lors des réunions avec Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, dans le contexte des émeutes de 2005. Ces événements, déclenchés par la mort tragique de Zyed Benna et Bouna Traoré, se font encore sentir, façonnant l'identité de cette banlieue de la Seine-Saint-Denis.
Les trois semaines de violences qui ont suivi ces tragiques évènements ont conduit l'État à déclarer l’état d’urgence. C'est dans ce contexte que l'association AClefeu prend forme. Son président, Mohamed Mechmache, se souvient : "Nous avons voulu devenir acteurs de notre destin, et ne plus être des spectateurs passifs." Lors d’une émission de France 2 réunissant des figures politiques d'alors, Mechmache a eu le déclic : "Il fallait stopper ce discours qui nous accablait, affirmant que tout était la faute des parents ou du rap."
EN BREF
- Les émeutes de 2005 ont profondément marqué Clichy-sous-Bois, entraînant des mobilisations citoyennes.
- La ville, toujours parmi les plus défavorisées de France, est en pleine transformation à travers des projets de rénovation.
- Les tensions avec la police et les problématiques sociales demeurent des enjeux cruciaux pour les habitants.
AClefeu a rapidement formulé des propositions concrètes pour améliorer la vie dans les banlieues : réduction du nombre d'élèves par classe, installation de caméras-piétons pour la police, entre autres. En parallèle, Clichy-sous-Bois devient un exemple des politiques de la ville. "Il a fallu se battre pour obtention d’améliorations. Pourtant, le chemin reste long." Ce constat optimiste est tempéré par la réalité d'une commune toujours parmi les plus pauvres de France, selon l'Observatoire des inégalités.
Pour le moment, Clichy présente l'image d'un chantier à ciel ouvert. Dans le quartier du Chêne pointu, épicentre des événements de 2005, des grues côtoient les barres d’immeubles qui, sans les démolissons, sont en cours de rénovation. Entre espoir et désillusion, Mamadou, résident de 65 ans, observe ce spectacle : "J'ai dit aux jeunes d'arrêter, car après la destruction, nous restons ici."
Mamadou vit aujourd'hui dans un appartement insalubre, avec sa femme, Mariam, au milieu de problèmes de plomberie et d’humidité. Dans cette cage d'escalier, l'odeur est désagréable. "L’eau rentre la nuit lorsque ça pleut." Les espoirs de relogement sont anéantis, car ils doivent faire face à une dette de 16 000 euros d’impayés.
Les citoyens du Chêne pointu attendent des travaux de rénovation tant promis, mais ceci prend du temps. La fin de ces efforts n'est pas attendue avant 2030. Olivier Klein, maire de la ville, souligne la lenteur des projets : "On semble avancer plus lentement qu'auparavant." La commune a pourtant changé depuis 2005, selon lui.
Un autre aspect du changement est la visibilité accrue des projets urbains. "C'est beaucoup mieux maintenant. Clichy ne ressemble plus à ce qu'elle était." Jamel, habitant de longue date, témoigne d'une transformation des paysages, remplacés par des petits immeubles modernes. Pourtant, des problèmes subsistent : "Les matériaux se dégradent vite et les ascenseurs tombent régulièrement en panne."
La situation économique dans cette commune fragilisée est un problème. Le taux de pauvreté frôle les 42 % et le chômage dépasse les 19 %. Erwan, qui gère une épicerie solidaire, se démène pour offrir des produits au prix le plus bas possible. "Le but, c'est de faire descendre les prix. C'est difficile, la vie, mais ils nous aident. Ce sont des anges."
Les Restos du Cœur, par exemple, ont largement vu une augmentation de leurs bénéficiaires : Ameny, bénévole, mentionne que leur aide est passée de 118 familles à 536 en seulement cinq ans. "Partout, c'est en augmentation." La municipalité fait de son mieux, mais les défis demeurent.
Dans cette zone en pleine mutation, les jeunes aspirent à davantage. Leurs rêves sont parfois entravés par une difficulté d’intégration non seulement sociale, mais aussi professionnelle. "Les transports, c'est compliqué et parfois démoralisant." Ils s’accrochent pourtant à des initiatives culturelles et artistiques qui participent à leur émancipation.
Les Ateliers Médicis, fondés en 2018, visent à faire émerger de nouvelles voix et talents issus de ces quartiers populaires. "Nous souhaitons permettre à ces jeunes d'envisager un avenir dans le monde de l'art." Une lueur d'espoir, alors que de vieilles blessures peinent à se refermer et que les mémoires de l'exclusion continuent de hanter leurs trajectoires.
Dans le cadre de commémorations, la ville est à la croisée des chemins. Clichy-sous-Bois affiche à la fois une volonté de renouveau et un besoin urgent d'harmonie sociale. La lutte pour une reconnaissance authentique, loin des stéréotypes, est encore un combat de chaque instant. Chaque jour, c'est un pas de plus vers une réalité que l'on espère être plus juste et ouverte.