Le différend entre Niamey et Orano franchit une nouvelle étape stratégique. Une semaine après le départ d'un convoi transportant plus d'un millier de tonnes d'uranium de la Somaïr, la mine que le groupe français avait perdue l'an dernier, Orano alerte sur les «risques graves» liés à ce transport dont il ignore tout: quantité, destination ou acheteur. Selon une source sécuritaire citée par Reuters, environ 1050 tonnes de yellowcake ont quitté Arlit, au nord désertique du Niger, sans communication officielle et en violation d'une décision internationale. Paris exprime son inquiétude, Niamey revendique sa souveraineté.
Orano, qui affirme avoir appris le mouvement par la presse le 27novembre, souligne que le trajet emprunté ne respecte pas les normes internationales de transport de matières radioactives. «Le passage d'un tel volume dans un corridor non sécurisé expose à des risques majeurs de détournement», avertit le groupe, désormais écarté de la gestion de la Somaïr, nationalisée par ordonnance quelques mois après le coup d'État de 2023.À LIRE AUSSI Pourquoi l'Europe risque de rater la relance mondiale du nucléaire
Niamey assume un «tournant historique» malgré l'interdit du Cirdi
À Niamey, on balaie ces mises en garde. Dimanche soir, la télévision publique a affirmé que le Niger exercerait son «droit légitime» de vendre son uranium «à tout acheteur respectant les prix du marché». Depuis le site d'Arlit, le général Abdourahamane Tiani a présenté le départ du convoi comme un «tournant historique»: la fin d'un demi-siècle d'emprise française sur une ressource longtemps décrite comme «spoliée».
Ce transfert viole pourtant une décision du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), rattaché à la Banque mondiale, qui avait interdit au Niger de vendre ou de déplacer l'uranium tant que le contentieux avec Orano n'était pas réglé. Selon Reuters, le groupe français pourrait engager de nouvelles actions juridiques, y compris pénales, contre tout acteur impliqué dans l'opération.
L'uranium, nouveau levier d'influence
Désormais, la ressource devient un levier politique et diplomatique. Le Niger, septième producteur mondial d'uranium, représentait jusqu'ici 15% des approvisionnements d'Orano. La mise en vente directe de ses stocks – près de 1500 tonnes selon Reuters – attire de nouveaux partenaires comme la Turquie, l'Iran ou la Russie. Niamey entend écouler l'uranium hors des cadres contractuels hérités, séduisant des États désireux d'un accès stable à la filière et modifiant les équilibres géopolitiques dans une région déjà traversée par de profondes recompositions.
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Le contexte sécuritaire complique toutefois l'opération. Les axes du nord et de l'ouest sont régulièrement coupés par des groupes armés, rendant délicat tout transport de matières sensibles. Orano déplore l'absence de confirmation sur le respect des règles de chargement et de sécurité. Niamey, lui, assume ce risque, déterminé à transformer l'uranium en instrument de souveraineté et de diplomatie.
La junte nigérienne conclut ainsi un tournant stratégique: mettre fin à l'influence française, diversifier ses partenariats et affirmer sa place sur le marché mondial du nucléaire civil et médical. Pour Orano, c'est la fin d'une coopération vieille de plus de cinquante ans, dans un contexte où la demande mondiale pour l'uranium, relancée par les programmes nucléaires et médicaux, ne cesse de croître.