Né il y a soixante-dix-sept ans près de Royan en Charente-Maritime, Jean Gaumy a fait de la Normandie, et plus précisément du littoral du pays de Caux, son port d'attache depuis 1995. Une rétrospective lui est actuellement consacrée dans l'ancienne séchette des morues, qui abrite les Pêcheries, le musée de Fécamp. Cet événement suit une exposition présentée cet été au Musée national de la Marine à Paris. Accompagné d’Aurélien Arnaud, le commissaire de l’exposition, Gaumy, avec sa personnalité de baroudeur, partage une foultitude d’histoires et d’anecdotes sur ses photographies saisies au cœur des chalutiers, dans les profondeurs d’un sous-marin nucléaire ou, plus récemment, au pied des falaises de la côte d’Albâtre.
EN BREF
- Jean Gaumy, photographe engagé, documente la vie maritime depuis plus de quarante ans.
- Ses œuvres mettent en lumière les défis environnementaux et humains auxquels sont confrontés les marins.
- Une rétrospective récente souligne son parcours et ses contributions au monde de la photographie.
La passion de Jean Gaumy pour le monde maritime remonte à son enfance. À seulement dix ans, il pêche et dévore des ouvrages tels que L'Étoile mystérieuse et Moby Dick. Son parcours professionnel débute en 1975 à l’agence Gamma, où son ami, le célèbre photographe Raymond Depardon, lui a ouvert les portes. Bien qu'il ait acquis une certaine notoriété pour ses reportages sur les univers hospitaliers et les prisons françaises, la mer est un thème qui ne l’a jamais quitté. À partir de 1972, il s'immerge dans la culture locale de Fécamp, photographiant les ouvrières de l’usine de fumage des harengs, marquant ainsi le début d'un long voyage au cœur des traditions maritimes.
En 1986, Gaumy troque son appareil photo contre une caméra pour réaliser un court-métrage, acclamé par la critique, sur la fabrication du hareng, témoignant ainsi d'une pratique ancestrale en voie de disparition. Sa passion le propulse finalement au sein de l'agence Magnum Photos, où il est devenu une figure emblématique. En parallèle, il est peintre officiel de la Marine et membre de l'Académie des beaux-arts.
Documenter la haute mer
À travers son objectif, Gaumy a été un témoin privilégié de la vie à bord des chalutiers, ces géants des mers en voie de disparition. Il se souvient de sa première expérience en 1970 à bord du Wagram, qui le pousse à explorer les défis du travail en haute mer. Sur des navires tels que le Koros ou le Rowanlea, il capte l'extrême engagement des marins, souvent exposés aux caprices de la mer. Dans son journal, il rend hommage à ces hommes, décrivant les tempêtes, le « ciel gris, improbable, ravagé d’embruns » et la fatigue immense qu’ils subissent. Son ouvrage Pleine mer, publié en 2001, conserve cette intensité et a marqué un véritable tournant dans la perception du travail maritime.
Les catastrophes maritimes
En décembre 1999, lors de son embarquement sur l’Abeille Flandre, Jean Gaumy va vivre une expérience brutale. Il sera l'un des rares à photographier le désastre écologique causé par le naufrage de l'Erika. Ses images révèlent la tragédie du préjudice environnemental, alors que les marins luttent pour remorquer le pétrolier en détresse. Il n’oublie pas non plus l'échouement de l’Amoco Cadiz en 1978, une autre catastrophe qui a laissé des séquelles sur l'écosystème marin. Ces événements tragiques l’incitent à approfondir sa réflexion sur la protection de la nature et sur les impacts des activités humaines sur l'environnement.
La vie sous la mer
La thématique de l'isolement et de la promiscuité a toujours fasciné Jean Gaumy. À l’aube du XXIe siècle, il a obtenu l’autorisation de la Marine nationale pour s’immerger dans le quotidien des sous-marins nucléaires. En 2004, à bord de l’Améthyste, il vit des mois d’opérations sous-marines, partageant le rythme de vie des équipages. Deux ans plus tard, il est le premier à participer à une mission classée secret-défense au-delà du cercle Arctique. Les images qu'il capture durant ces missions racontent la complexité des relations humaines dans ces environnements souvent étouffants, mais également pleins de camaraderie.
Aujourd'hui, ayant pris du recul par rapport à cette approche immersive, Jean Gaumy explore une vision plus contemplative de son art. Pourtant, sa philosophie demeure inchangée. Il rappelle avec force que capturer une image, c’est « sortir de l’eau de l’inconnu qui résiste et refuse de venir à la lumière ». Son chemin, émaillé de rencontres et de découvertes, reste profondément ancré dans cette quête d'authenticité, mettant en lumière la condition humaine et les défis liés à notre rapport à la mer.