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« Mektoub, My Love : canto due », Abdellatif Kechiche signe son grand retour au cinéma

by Matthieu Dourtou
Mektoub, My Love: Canto Due - Abdellatif Kechiche's Cinematic Renaissance

Mektoub, My Love: Canto Due

Avec Mektoub, My Love: Canto Due, le réalisateur Abdellatif Kechiche, célèbre pour son approche singulière et audacieuse, conclut sa trilogie sétoise. Ce dernier opus ramène les personnages là où le public les avait laissés, il y a huit ans, en 1994. Ce retour n’est cependant pas anodin, puisqu'il fait suite à un tournage tumultueux l'été 2016, jalonné de controverses et d'une multitude d'heures d'images qui ont presque acquis un statut légendaire.

EN BREF

  • Abdellatif Kechiche conclut sa trilogie avec Canto Due, après un long hiatus de huit ans.
  • Le film traite des thèmes de pouvoir, de sexualité et de destin avec une approche novatrice.
  • Les femmes prennent le devant de la scène, renversant les dynamiques traditionnelles de genre.

Huit années se sont écoulées entre Canto Uno et Canto Due. Entre les deux, un incident marquant a failli ternir la réputation de Kechiche. En 2019, Intermezzo avait provoqué une onde de choc au Festival de Cannes en présentant une scène de sexe non simulée, s'étalant sur une quinzaine de minutes. Long de 3h27, ce projet avait suscité de vives polémiques et entraîné des complications financières avec son distributeur. En dépit de l'effervescence, le film n'a jamais vu le jour. Aujourd'hui, avec Canto Due, Kechiche semble retrouver sa légèreté initiale avec cette bande de Sète.

À ce moment de leur existence, le mektoub (signifiant « destin » en arabe) des personnages est encore façonné par de multiples promesses. Ophélie (Ophélie Bau), par exemple, élève des chèvres sur la ferme familiale. Elle se prépare à épouser Clément, un légionnaire en mission, alors qu'elle attend un enfant de son amant, Tony (Salim Kechiouche), un véritable charmeur. Amin (Shaïn Boumedine), quant à lui, demeure épris d'Ophélie, mais s'est exilé à Paris pour poursuivre ses rêves de cinéaste, abandonnant ses études en médecine.

Dans ce cadre ordinaire surgit un couple inattendu : un riche producteur américain (André Jacobs) et sa jeune épouse, Jessica (Jessica Pennington). Leur arrivée dans le restaurant tunisien de la famille déclenche une série d'événements imprévisibles. Malgré la fermeture de la cuisine, ils n'hésitent pas à exiger un service, comme si le monde devait s'ajuster à leurs désirs.

De cette intrusion émerge un accord tacite, entre agacement et curiosité. En contrepartie d'un couscous préparé à la hâte, le producteur promet de lire le scénario d'Amin. Cette transaction, bien que banale en apparence, marque le début d'un jeu trouble d'influences et d'intérêts.

Le retour du virtuose

À partir de cet instant, les lignes narratives se construisent et le film prend un élan dynamique. Mektoub, My Love: Canto Due se révèle résolument polymorphe, naviguant entre comédie, polar, romance et drame. Kechiche, fidèle à lui-même, reprend le flambeau avec brio. Sa caméra, toujours aussi virevoltante, capture le naturel des interactions humaines et sublime des moments quotidiens, transformant même une simple promenade à bicyclette en scène évocatrice.

Le film est une célébration du quotidien, où chaque détail, même trivial, acquiert une portée artistique. La baignade et les discussions au bord de la piscine des Américains deviennent de véritables moments de magie cinématographique. Kechiche joue avec les dialogues, laissant place à une large part d'improvisation, favorisant ainsi une fusion entre acteurs et personnages, qui, pour la plupart, portent leurs propres prénoms.

Le réalisateur parvient à orchestrer plusieurs conversations qui se chevauchent sans jamais s’entraver. D’une part, la séduction légère de Jessica et de Tony, dissimulant leur appétit pour la vie, et d’autre part, le pouvoir autoritaire du vieux producteur, qui tente de s’approprier le scénario d'Amin pour le transformer à des fins hollywoodiennes. Ce contraste illustre les dynamiques de pouvoir, où séduction et prédation se déroulent sur le même plan.

Le pouvoir change de camp

À travers un dernier rebondissement, Kechiche critique la spectacle, le voyeurisme médiatique et son exploitation politique, semblant ainsi répondre aux controverses qui ont émaillé son parcours. Depuis La Vie d'Adèle, on a souvent accusé Kechiche d’être l’apologiste d’un male gaze pesant. Avec Canto Due, il renverse la perspective. Tandis qu'il continue d’explorer la sensualité des corps, le film prend un tournant audacieux. Ce sont désormais les femmes qui manœuvrent les hommes, comme en témoigne une scène cocasse sur la plage où les plaisanteries vont bon train.

Cet agencement pourrait symboliser un renversement amusant du pouvoir, et ainsi, Kechiche clôt son récit avec une ironie manifeste sur son propre parcours, laissant entrevoir un sourire en coin à ceux qui l'ont souvent critiqué.

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