Lionel Martellini (Edhec) : "Notre objectif est d'initier chaque étudiant au quantique

"La physique quantique, c’est très simple". Discuter avec Lionel Martellini, professeur de finance à l’Edhec, l’une des écoles de commerce les plus renommées de France, offre un aperçu tentant de ce domaine complexe. Avec un CV épatant, cet expert a brillamment combiné ses passions pour la finance et la physique. Diplômé de l’ESCP et de l’ENSAE, il obtient un doctorat de finance à Berkeley, puis un autre en astrophysique à l’Université Côte-d’Azur. Son intérêt pour la science remonte à son enfance. Martellini a également passé une année à Princeton, participant à la collaboration qui mena à la découverte des ondes gravitationnelles, et une autre au Massachusetts Institute of Technology (MIT), où il s’est tourné vers les mystères de l'infiniment petit et la physique quantique, qu’il décrit comme "la plus grande aventure intellectuelle de l’histoire de l’humanité".

Après avoir dirigé pendant deux décennies l'Edhec Risk Institute dédié à la finance, Lionel Martellini endosse aujourd'hui la direction de l’Edhec Quantum Institute, un projet novateur qui vise à créer un lien entre les institutions de recherche, les start-ups et l’enseignement supérieur. Cet institut s'inscrit dans une dynamique où les qubits, les unités de base des calculs quantiques, pourraient bouleverser le paysage technologique et économique, notamment en préparant les étudiants aux métiers de demain.

Lorsque l’on évoque la physique quantique, une question se pose souvent : comment la définir pour les néophytes? C’est une discipline qui cherche à décrire l’univers à son niveau le plus fondamental, celui des particules élémentaires, régies par des lois qui peuvent sembler mystérieuses. Lionel Martellini souligne la nécessité de changer la perception de la mécanique quantique, qui est souvent considérée comme mystique ou inaccessible. Il est essentiel, selon lui, de présenter ces concepts de manière compréhensible, afin de favoriser l’adoption des technologies quantiques.

Avec l’avènement de l’intelligence artificielle en tant que quatrième révolution industrielle, la physique quantique pourrait potentiellement constituer la cinquième. Bien que le moment décisif n’ait pas encore eu lieu, une convergence de talents, d’ambitions et de financements est en place pour catalyser cette nouvelle ère. Toute entité physique, biologique ou matérielle est en réalité influencée par les lois de la physique quantique. Cela rappelle la manière dont nos ancêtres appréhendaient le feu : un phénomène à la fois fascinant et terrifiant, qui n’a été compris que bien plus tard.

Cette année marque le centenaire de la mécanique quantique, dont les bases mathématiques ont été posées par Werner Heisenberg et Erwin Schrödinger au début des années 1920. La première révolution quantique a eu un impact considérable sur nos économies, se manifestant, par exemple, par la création de l’énergie nucléaire, mais aussi par le développement des puces électroniques et des technologies d’imagerie. Mais à quoi ressemblera la deuxième révolution quantique?

Elle évoque la maîtrise d’états de particules individuelles, reposant sur des principes comme la superposition et l’intrication. La superposition signifie qu'une particule peut être dans plusieurs états simultanément. Par exemple, le qubit, élémentaire dans l'informatique quantique, peut représenter à la fois 0 et 1, contrairement aux bits classiques. Cette notion illustre parfaitement les défis conceptuels que pose la physique quantique, notamment à travers l’illustration du chat de Schrödinger, où la réalité est à la fois vivante et morte jusqu'à l'observation.

Les applications de cette technologie sont vastes. Dans le secteur financier, la capacité d’un ordinateur quantique à déchiffrer des données pourrait menacer la sécurité des transactions. Cela incite à développer des systèmes de cryptographie post-quantique, résistant aux nouvelles menaces. Dans d’autres domaines, tels que la logistique et la modélisation climatique, les ordinateurs quantiques pourraient résoudre des problèmes complexes de manière exponentiellement plus rapide que leurs homologues classiques.

L'idée de créer l’Edhec Quantum Institute repose sur une vision claire : les étudiants doivent être préparés aux défis futurs. Historique d’hybridation des savoirs, l’établissement a pour ambition d’intégrer les enseignements quantiques dans divers cursus, afin de former des professionnels au fait des enjeux économiques que soulèvent la physique quantique. Martellini souligne les propos du PDG de Nvidia, Jensen Huang, qui recommande maintenant aux jeunes de privilégier les sciences physiques.

L'institut s'articule autour de plusieurs axes : la recherche, l'éducation et la communication, tout en intégrant une dimension de collaboration avec le secteur industriel. Des figures emblématiques de la science quantique, telles que Seth Lloyd du MIT, rejoignent le conseil consultatif de l'institut, ajoutant une expertise précieuse dans l'élaboration de stratégies orientées vers l'avenir.

En matière de positionnement international, il est essentiel de noter que la France et l’Europe disposent d’atouts significatifs dans le domaine de la recherche quantique. Outre le nombre élevé de publications scientifiques, ils doivent impérativement capitaliser sur cet avantage pour ne pas se faire distancer par des pays comme les États-Unis et la Chine, qui investissent massivement dans cette technologie. Un plan quantique français, doté d’un budget conséquent, a été lancé pour maintenir cette dynamique.

Le potentiel de la physique quantique n'est donc pas seulement théorique ; il pourrait véritablement transformer nos sociétés. La route est encore longue, mais les efforts concertés des institutions académiques et des acteurs industriels pourraient bien faire émerger cette nouvelle révolution industrielle attendue depuis longtemps.