Le 10 novembre, à l’aube, des enquêters du Bureau national anticorruption (NABU) ont perquisitionné un complexe résidentiel de la rue Mykhaïlo Hrouchevsky, dans le centre de Kiev, à proximité immédiate du siège de la présidence ukrainienne. Après quinze mois d’investigations méticuleuses, incluant plus de mille heures d’écoutes téléphoniques, ces agents ont fouillé les appartements réputés luxueux d’un proche de Volodymyr Zelensky.
EN BREF
- Opération "Midas" : une centaine de perquisitions liées à des soupçons de corruption ont été menées.
- Timour Minditch, associé de Zelensky, a fui à l'étranger avant son arrestation.
- Les révélations portent un coup dur au leadership de Zelensky, déjà éprouvé par la guerre avec la Russie.
Désigné comme un pilier du premier cercle de l’ex-comédien devenu président, Timour Minditch avait discrètement quitté le pays quelques heures avant l’opération. Ce magnat, aventurier des affaires, a tenté de quitter l'Ukraine en passant par la frontière polonaise, avant de s’envoler vers Israël, où il possède la nationalité. Cet épisode renforce l'intérêt des enquêteurs, qui mettent au jour une affaire complexe mêlant ambitions politiques et enjeux financiers.
Minditch, bien qu'il ne soit pas une figure publique marquante, a joué un rôle clé dans la confidentielle célébration d'anniversaire de Zelensky en 2021, dans l’un de ses appartements. Ce rassemblement s’est tenu en plein confinement, alors que le président vivait quelques étages plus bas. Ancien associé de l’oligarque Ihor Kolomoïsky et cofondateur du célèbre studio Kvartal 95 ayant propulsé Zelensky au-devant de la scène, Minditch est au centre d'un vaste scandale éclairant des pratiques de corruption au sein des institutions ukrainiennes.
Scandale et manipulation
Les médias ukrainiens s'accordent à dire que Minditch est une figure centrale dans l’actuel bouleversement politique. Le scandale a éclaté suite à des arrestations et des perquisitions ciblant des responsables, tant actuels qu'anciens, accusés d'avoir détourné des fonds au sein d'Energoatom, l’entreprise publique de l’énergie nucléaire. Les enquêteurs révèlent que ces individus auraient extorqué jusqu'à 15 % des valeurs des contrats, engendrant un détournement d’environ 100 millions de dollars via un bureau secret à Kiev. Cela soulève des questions très embarrassantes pour le président et son entourage.
En parallèle, des contrats de sécurité essentiels pour les installations énergétiques sont restés en suspens, alors que des commissions supplémentaires étaient exigées. La situation est d’autant plus frustrante pour une population ukrainienne déjà affaiblie par les coupures de courant et la menace des bombardements russes. Ce contexte fragilise le leadership de Zelensky, alors que des discussions sur un cessez-le-feu favorables à la Russie émergent dans les cercles diplomatiques internationaux.
"Cette affaire pourrait être une conséquence du mode de gouvernance de Volodymyr Zelensky, basé sur une trop grande confiance accordée à son cercle restreint", explique Oleksandr Salizhenko, expert de l’ONG de surveillance politique ukrainienne Chesno.
L'absence d'élections, prolongée par la loi martiale, augmente les risques de dérives. Plus un dirigeant est au pouvoir longtemps, plus les liens informels s’établissent, créant un terreau propice à des abus. La question qui se pose est celle de la responsabilité de Zelensky face à cette situation, alors qu’il veille sur ses institutions en même temps que sur les individus qui le soutiennent.
Obstacles à la lutte anticorruption
En parallèle, l’année a révélé des tentatives d'entrave à l’enquête du NABU concernant Energoatom. En juillet, un détective impliqué dans l’affaire, Ruslan Magomedrasulov, a été arrêté par les services de sécurité ukrainiens, dirigés par une personne nommée par le président. Cette arrestation est perçue par des activistes anticorruption comme un obstacle délibéré à l’enquête, ce qui soulève des interrogations sur la volonté du gouvernement de traiter ces problèmes en profondeur.
Face à des manifestations massives en faveur de l'indépendance des institutions anticorruption, Zelensky a tenté de répondre fermement en exigeant la démission de plusieurs ministres et en annonçant des sanctions contre Minditch. Il a également prévu un audit des entreprises publiques et une réorganisation du ministère de l'Énergie. Toutefois, ces mesures sont jugées insuffisantes par la population et par certains membres de son propre parti.
Lors d’une séance parlementaire récente, des députés ont appelé à un remaniement gouvernemental, voire la formation d’un gouvernement d’unité nationale, englobant des membres de l’opposition. Même au sein de son propre parti, des voix se sont élevées, demandant des changements significatifs au sein de l’exécutif. Paradoxalement, si Zelensky est dans une position fragile, il n’est pas menacé immédiatement, étant donné qu'il n’est pas directement impliqué dans l’affaire en cours.
Chaque scandale de corruption engendre des démissions sans pour autant garantir un jugement des responsables. L'ONG Chesno souligne la nécessité d'un procès conforme à la législation ukrainienne pour éviter que ces affaires soient enterrées dans des délais juridictionnels. Alors que les enquêtes se poursuivent et que de nouvelles révélations émergent, l'espoir d'une réforme significative demeure tenu en échec par des mécanismes institutionnels fragiles.