Dans le paysage du cinéma contemporain, de nombreuses interrogations émergent quant à son avenir. Angélique Delorme, directrice générale adjointe du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, a récemment publié un essai intitulé La Bataille des images. À travers cette œuvre, elle se penche sur les bouleversements dont fait l’objet l’industrie cinématographique, accentués par l’ascension des géants du streaming.
EN BREF
- Angélique Delorme questionne l'avenir du cinéma français face à l'essor des plateformes de streaming.
- Le rachat potentiel de Warner par Netflix pourrait redéfinir la hiérarchie du secteur.
- Le cinéma français représente encore 40% des entrées en salles, témoignant d'une vitalité culturelle.
À une époque où les débats se concentrent souvent sur des questions économiques ou sociales pressantes, l'avenir du film en France pourrait sembler périphérique. Pourtant, comme le souligne Delorme, l’enjeu est d’une importance stratégique compte tenu de l'influence croissante des plateformes comme Netflix et Paramount, qui investissent des milliards dans l’acquisition de studios historiques tels que Warner.
Pour illustrer sa thèse, Delorme évoque l’implication de Donald Trump dans le dossier du rachat de Warner par Paramount-Skydance, ce qui rappelle comment le soft power américain est en jeu dans cette bataille des images. D’autant que, comme elle l’écrit : « Celui qui tient la caméra oriente le regard. »
Révolutions silencieuses dans la production
Delorme constate deux évolutions marquantes. D'une part, la plupart des images que nous consommons sont désormais produites par des amateurs, grâce à la combinaison puissante des smartphones, des réseaux sociaux et des vidéos courtes. Cela a créé un nouveau potentiel de production décentralisée.
En parallèle, le pouvoir de diffusion et de sélection des contenus est de plus en plus concentré entre les mains de quelques géants tels que YouTube, Amazon, et TikTok. Ces plateformes rivalisent via des algorithmes sophistiqués qui façonnent notre expérience cinématographique, contribuant à une uniformisation des récits et des formats qui peuvent éclipser même les productions indépendantes.
Les impacts des plateformes de streaming
Les plateformes de streaming apportent des avantages notables : elles diversifient les choix, modernisent les méthodes de financement, et offrent de nouveaux formats narratifs. Cependant, ces bénéfices s'accompagnent de défis. Les pressions exercées par ces entreprises sur la production entraînent des rythmes accélérés et parfois des compromis artistiques, où le droit d’auteur est souvent moins protégé que dans le modèle européen traditionnel.
Dans ce contexte compétitif, les salles de cinéma historiques souffrent, et l’annonce récente du rachat de Warner par Netflix témoigne de la recomposition continuelle du paysage. Si ce rachat va au bout, il marquera une consolidation sans précédent depuis l'acquisition de Fox par Disney en 2019.
Un duel d'influence à Hollywood
Le conflit en cours à Hollywood oppose deux forces radicalement différentes : d’une part, les logiques commerciales des entreprises de la Silicon Valley qui visent à standardiser les modes de consommation ; d’autre part, le capitalisme politique incarné par des groupes comme Paramount-Skydance, qui ont un agenda plus affirmé. La structure même du divertissement mondial sera redéfinie.
Notre cinéma face à l'hégémonie américaine
Étonnamment, malgré la forte présence de l'industrie cinématographique américaine, le cinéma français parvient à représenter environ 40% des entrées dans les salles de cinéma en France, un succès à relativiser. En comparaison, d'autres pays européens tels que l'Allemagne et l'Italie voient souvent ces chiffres tomber à 20 ou 25 %. Il est essentiel de préserver ce modèle, car la diversité artistique et la qualité des œuvres ne sont pas des acquis, mais des conquêtes à défendre.
Interrogée sur la menace que représente le financement public pour l'industrie française, Angélique Delorme rappelle qu’il est crucial de soutenir nos productions afin de façonner notre propre imaginaire. Et il est vrai que le système de financement du CNC joue un rôle central en réinjectant des fonds dans la création cinématographique.
Les craintes liées à l'arrivée de l'intelligence artificielle dans le domaine du cinéma soulèvent des questions intéressantes. Certes, l’IA pourrait offrir des opportunités variées, mais elle ne pourra jamais remplacer l’essence humaine qui fait toute la richesse d’un film. Un regard humain, une sensibilité aiguisée, voilà ce qui définit véritablement le cinéma.
Il est indéniable que le secteur évolue dans un climat de mutation profonde. L'avenir du cinéma repose non seulement sur les nouvelles technologies, mais aussi sur la capacité des créateurs à préserver leur identité et leur vision face à l'uniformisation croissante des contenus. Ce défi, bien que colossal, est aussi un stimulant pour redéfinir et réinventer cet art cher à nos cœurs.