Le bistrot est presque vide ce matin près du parc Roger-Salengro à Clichy. Julie Martinez arrive en silence, lunettes noires sur le nez. Elle s'installe, nous salue avec une politesse discrète, commande un café allongé. Quand elle parle, son poing vient parfois taper la table, léger coup sec pour donner du rythme à ses phrases. À 32 ans, elle sort d'un mois qu'elle ne décrit qu'à demi-mot : attaques, insinuations, caricatures… et des menaces visant jusqu'à sa fille de 11 mois. Tout, dans ses gestes et sa retenue, laisse deviner le choc que cela représente.
EN BREF
- Julie Martinez, 32 ans, devient porte-parole du Parti socialiste.
- Elle milite pour une réconciliation entre la gauche et les enjeux technologiques.
- Depuis son arrivée, elle fait face à des menaces et critiques sur son parcours professionnel.
La nouvelle porte-parole du Parti socialiste (PS), désormais investie tête de liste à Clichy pour les municipales de 2026, a été propulsée en quelques semaines au cœur d'une tempête numérique. Cette avocate de formation, experte du RGPD, porte pourtant une ambition simple – et aujourd'hui presque rare : réconcilier la gauche avec la technologie, ainsi que se réconcilier elle-même avec le débat public.
«Un autre monde»
Pour comprendre son parcours, il suffit de remonter le fil de sa vie. Julie Martinez a grandi à Sarcelles, un lieu riche d'expériences simples. Elle y évoque les odeurs, les plats, et les musiques qui en font la richesse. Avec des parents qui n'ont pas eu la chance de faire des études, elle, en revanche, se distingue rapidement : mention très bien au bac, elle se lance dans une classe préparatoire à Louis-le-Grand. C'est ici qu'elle découvre « un autre monde » : la comparaison sociale, l'accès limité à des ressources, et sa propre pauvreté.
Pour financer ses études, elle travaille chez Pimkie et traverse chaque jour le périphérique vers la montagne Sainte-Geneviève au cœur de Paris, comme on franchit une frontière invisible. Elle réussit, mais sans s'y épanouir, et bifurque alors vers le droit, réalisant son rêve d'avocature. Son parcours la mène vers Berlin et le King's College de Londres grâce à des bourses, avant de revenir en France, où elle passe le barreau et se spécialise dans la protection des données.
Rencontre avec Jacques Attali
En 2020, un dîner avec Jacques Attali change la donne. Presque par hasard, elle se retrouve à la tête d'un groupe de réflexion lançant « France Positive », où elle auditionne 400 personnes, des syndicalistes aux patrons du CAC 40, pour réfléchir à l'avenir du pays. Cette vision à long terme l’imprègne profondément.
Quelques années plus tard, elle rejoint Palantir, entreprise américaine réputée pour ses liens avec les services de renseignement. Elle y est responsable du respect du droit européen et du RGPD. « J'adorais ça, mais je ne lisais plus. Tout tournait autour du travail », explique-t-elle avec une certaine mélancolie.
Se mettre en avant
Sa nomination comme porte-parole du PS, cet été, attire immédiatement l'attention. Investie au sein du parti depuis 2017, elle contribue aux réflexions programmatiques. La direction du PS, à la recherche d’un renouvellement, trouve ses compétences techniques et sa maîtrise des enjeux numériques précieuses.
Les premiers portraits dans la presse sont cinglants, principalement axés sur son rôle chez Palantir, occultant bien souvent ses véritables responsabilités. L’ancien maire socialiste de Clichy commence à l’attaquer quotidiennement sur X, au point d'être visé par une procédure disciplinaire pour cyberharcèlement. Les menaces, dont certaines évoquent la violence à l'égard de sa fille, deviennent fréquentes. Elle les nomme simplement, pour en exprimer l'absurdité.
«Il faut sortir les Français de la domination de l'algorithme»
Le 19 novembre, Julie Martinez est investie par les militants en tant que tête de liste à Clichy pour les municipales de 2026. Elle y défend des thèmes de mixité sociale, de service public de la petite enfance, et surtout de technologie. “À gauche, si nous ne nous emparons pas du sujet, ce sera toujours les mêmes qui parleront de l'avenir”, affirme-t-elle avec force.
Pour elle, la technologie peut être une promesse, mais seulement si elle est bien régulée. Elle évoque le règlement sur les services numériques, l’importance de l'éducation aux médias et la nécessité de casser « l'économie de la viralité» des plateformes. “La démocratie ne peut pas se passer de la vérité, comme elle ne peut pas se passer du peuple”, déclare-t-elle.
Lorsqu'interrogée sur ses sources d'inspiration, elle mentionne sa mère, sa grand-mère, et toutes les femmes qui l'ont soutenue dans les moments difficiles. Julie Martinez brise ainsi la chaîne de la domination par l'ignorance pour créer un avenir où le dialogue existe encore, et où les mots redonnent de la vie à la politique. « Pourquoi dégager du temps de travail ? Pour du temps pour soi, pour les enfants, pour la culture, pas pour travailler plus », conclut-elle.
Pour Julie Martinez, l'urgence est de redonner du sens à la politique, de rétablir des échanges constructifs et apaisés. En embrassant son nouveau rôle avec tant de passion, elle pourrait bien réinventer la méthode pour réconcilier le débat public et les intérêts de la gauche dans un monde toujours plus numérique.