Depuis plus de vingt ans, Jean-François Gayraud, expert en criminalité organisée, s'attache à dévoiler les réalités secrètes entourant les mafias. Autrefois perçues comme un folklore lointain, comme le symbole du cinéma de gangster tel qu'incarné par Al Pacino ou Lino Ventura, ces organisations sont désormais bien réelles, menaçant la tranquillité de certaines régions, notamment Marseille. Les violences récentes, telles que l’assassinat du frère de Mehdi Kessaci, un lanceur d’alerte contre le narcotrafic, illustrent l’ampleur de ce fléau, révélant que les temps ont changé et que la France n'est plus un havre d'immunité face à ces dangers.
EN BREF
- Jean-François Gayraud analyse l'infiltration des mafias en France.
- Les récentes violences à Marseille soulignent l'ampleur du narcotrafic.
- Un changement de stratégie est nécessaire pour faire face à ces menaces croissantes.
Dans son dernier ouvrage, Les sociétés du silence, publié aux éditions Fayard, Gayraud propose une réflexion approfondie sur la manière dont le cinéma et la criminalité interagissent. En tant qu'ancien directeur de l'Académie du renseignement, il partage son expérience concernant l’émergence et l'évolution des organisations criminelles en France. Pour lui, il n'est pas trop tard pour riposter, à condition d'adapter notre approche face à cette réalité inquiétante.
En réaction à la violence perpétrée par la DZ Mafia, Gayraud souligne une nouvelle forme de stratégie : celle des "crimes d'avertissement". Dans une interview avec L'Express, il décline ces approches avec lucidité : « La DZ Mafia a décidé de jouer la carte de la visibilisation, s’en prenant à ses concurrents et se lançant dans une quête de pouvoir par le terrorisme public. » Une approche risquée qui pourrait provoquer une réaction sévère de la part des autorités.
Cependant, il attire l'attention sur un constat troublant : la DZ Mafia ne ressemble pas aux mafias traditionnelles, telles que Cosa Nostra en Italie. Ces méthodes d'intimidation présentent des traits d'une bande criminelle, non pas d'une organisation secrète et soudée. Gayraud décrit cette mafia comme une façade cherchant à intimider plutôt qu'à bâtir une société criminelle durable et discrète.
La comparaison avec les mafias italiennes
La question qui se pose alors est celle de la survie des narcotrafiquants français s'inspirant des modèles mafieux italiens. Contrairement aux organisations siciliennes, où le silence et la discrétion sont essentiels, les nouvelles mafias en France semblent opérer de manière plus ouverte et audacieuse.
La maîtrise des codes de la criminalité organisée s'est complexifiée avec le temps. Quand les mafias italiennes apprenaient à se fondre dans le paysage socio-économique sans jamais se faire remarquer, les narcotrafiquants d'aujourd'hui semblent opérer dans un monde où l'exhibitionnisme et la brutalité prédominent.
Les racines de l'aveuglement
Il est légitime de se demander pourquoi la montée en puissance de ces organisations est passée inaperçue si longtemps en France. Gayraud évoque l'illusion d'un État fort qui ne pouvait engendrer que du crime disorganisé. Mais depuis les années 1980, le paysage a changé, laissant place à un criminel organisé, profitant des failles d’un système devenu de plus en plus poreux.
Les frontières se sont effondrées, permettant aux flux illicites de prospérer. Au-delà de cela, une diversité ethnique a vu le jour dans le monde criminel. Gayraud évoque des groupes comme la Mocro Maffia aux Pays-Bas ou la DZ Mafia à Marseille. Ces organisations s'appuient sur des bases communautaires, exploitant la confiance inhérente à ces liens pour dissimuler leurs activités.
Vers une lutte renouvelée
Face à cette montée de la criminalité, Gayraud reste optimiste sur les capacités de la France à réagir. « Nos forces de sécurité intérieure, bien formées et efficaces, forment un rempart solide. Toutefois, cette protection pourrait s'effriter face à la corruption croissante. » Le renseignement constitue un outil primordial pour traquer ces menaces invisibles. Cependant, une réforme de la procédure pénale est également nécessaire, afin d'équilibrer les droits des suspects et de renforcer les capacités d’action des forces de l’ordre.
Loin de la glamourisation que le cinéma a pu imprimer à la figure du gangster, il est essentiel d'aborder la réalité des mafias avec sérieux et détermination. Le défi est clair : il faut restaurer une compréhension aiguë des dangers associés à la criminalité organisée et agir avant qu'il ne soit trop tard.