Home ActusNews L'incroyable récit d'un livre de cuisine juif dérobé par les nazis

L'incroyable récit d'un livre de cuisine juif dérobé par les nazis

by Matthieu Dourtou
Le Secret Culinaire : Une Histoire Juive de Résistance et de Résilience

Depuis le succès retentissant du livre de Daniel Mendelsohn, Les Disparus, publié pour la première fois en 2006 aux États-Unis, les ouvrages de microhistoire connaissent un essor considérable. Cette approche narrative, qui retrace l'histoire d'un pays à travers le parcours d'individus spécifiques, offre une vision à la fois sensible et élargie d'une période donnée.

EN BREF

  • La microhistoire met en lumière des récits individuels dans le contexte historique.
  • Karina Urbach retrace la vie de sa grand-mère, Alice Urbach, pour explorer la spoliation des auteurs juifs par le régime nazi.
  • Alice Urbach a réussi à se réinventer en tant que chef cuisinière après avoir fui l'Autriche et a continué à vivre aux États-Unis jusqu'à sa mort.

Ce style narratif permet d'incarner la réalité historique, mais il comporterait aussi des risques en raison du lien émotionnel souvent étroit entre l'écrivain et ses sujets. L'historienne allemande Karina Urbach souligne ce défi : « le manque de distance émotionnelle par rapport aux personnes concernées est un grand danger ».

Tout comme Mendelsohn, qui retraçait l'itinéraire de son grand-oncle Shmiel Jäager, victime de la Shoah, Urbach choisit de mettre en lumière son héritage familial. Elle hésita longtemps avant de se lancer dans l’écriture d’une biographie consacrée à sa grand-mère, Alice Urbach, ayant récemment pris conscience de l'importance de son histoire.

Les années d'avant-guerre

Alice, née Mayer à Vienne le 5 février 1886, incarne le destin tragique des Juifs européens. Dans une villa au cœur de Döbling, un quartier huppé de la capitale austro-hongroise, elle grandit dans un environnement privilégié, son père, Sigmund, étant un entrepreneur renommé et proche des figures intellectuelles de l'époque.

Les Mayer côtoient des personnalités illustres, telles que l’écrivain Arthur Schnitzler ou le dramaturge Felix Salten, tandis qu’Alice se lie d'amitié avec des scientifiques de renom, tels que Lise Meitner, co-découvreuse de la fission nucléaire. Cette vie aisée sera bientôt éclipsée par les épreuves historiques qui marqueront l’Europe.

La cuisine comme planche de salut

La trajectoire d’Alice prend un tournant dramatique lorsqu'elle épousera un médecin dont la fortune s’évapore rapidement. Veuve à 34 ans, elle doit subvenir seule aux besoins de ses jeunes enfants après la mort de son père en 1920, qui coïncide avec une période de crise économique.

La gastronomie devient alors son refuge : en 1924, elle ouvre une école de cuisine qui connaît un succès fulgurant. En 1935, son livre de recettes, C'est comme ça qu'on cuisine à Vienne, devient un best-seller. Cependant, la donne change lorsque, en mars 1938, l’Autriche est annexée par Hitler et que des lois anti-juives entrent en vigueur. Alice doit fuir son pays, trouvant refuge en Grande-Bretagne.

Une autrice spoliée

Durant ce temps, son œuvre est pillée. Son éditeur en Autriche continue de commercialiser son ouvrage, mais en supprimant son nom de couverture et en le faisant signer par Rudolf Rösch. Les recettes traditionnellement juives, qui faisaient la renommée de son livre, sont expurgées, mais le succès demeure. Alice découvre, en 1949, que son livre est toujours classé parmi les meilleures ventes, mais elle se retrouve dépossédée des droits de son oeuvre.

Karina Urbach, dans sa captivante enquête sur sa grand-mère, révèle une facette méconnue des spoliations. Son récit rend hommage à toutes les victimes de cet accaparement littéraire subi par de nombreux auteurs juifs. D'autres figures, comme Paul Wessel et Max Friedlander, ont également connu des destins similaires, leurs travaux souvent attribués à des proches du régime nazi.

Après la guerre, en 1946, Alice émigrera aux États-Unis, où ses deux fils s'étaient déjà installés. Elle continuera à partager sa passion pour la cuisine, créant une nouvelle école de cuisine et apparaissant dans des émissions télévisées. Dans l'une d'elles, elle enseigne la préparation du tchoulent, un plat traditionnel juif, symbole de sa résilience et de son héritage culturel.

Alice Urbach, figure de la cuisine viennoise, a non seulement surmonté de nombreux obstacles, mais a su transformer son histoire personnelle en un outil de transmission et de résistance. L'ouvrage de Karina Urbach nous rappelle l'importance de préserver la mémoire de ces récits pour les générations futures.

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