Perruque sur la tête, lunettes sombres, vêtements quelconques. Lundi après-midi, María Corina Machado glisse hors de sa planque dans la banlieue de Caracas, au Venezuela. Cela fait un an qu'elle vit cachée. En cette journée fatidique, il ne s'agit pas uniquement d'échapper aux services de Nicolás Maduro, mais de quitter le pays. En quarante-huit heures et via l'île de Curaçao, face aux côtes vénézuéliennes, elle doit monter sur la scène d'Oslo pour recevoir le prix Nobel de la paix.
EN BREF
- María Corina Machado s'échappe de Caracas pour recevoir le prix Nobel de la paix.
- Elle traverse dix checkpoints militaires avant d'atteindre la côte, puis prend la mer avec une barque fragile.
- Son exfiltration a été planifiée en coordination avec des contacts aux États-Unis.
Le Wall Street Journal raconte qu'elle doit rejoindre un village de pêcheurs sur la côte. Là, une simple barque en bois l'attend. Mais entre Caracas et la mer, il y a la route, jalonnée de dix checkpoints militaires. Pendant dix heures, la voiture roule et s'arrête, freinée par des contrôles stricts. Les militaires fouillent, scrutent les visages, implémentant une pression psychologique palpable. À chaque barrage, la peur d’être reconnue par un soldat, ou qu’un appel radio ne brise leur précieuse clandestinité, est omniprésente. Pourtant, selon une source du Wall Street Journal, Machado et ses deux accompagnateurs franchissent ces postes de contrôle sans encombre. Une longue apnée avant d’atteindre finalement la côte, aux alentours de minuit.
Après quelques heures de repos à peine, elle se lève avant l’aube, à cinq heures du matin, pour monter dans la barque. Cette embarcation est typique des pêcheurs locaux, mais la mer des Caraïbes est agitée : un vent fort souffle, soulevant des vagues courtes et dures. La traversée jusqu’à Curaçao s'annonce longue et périlleuse, non seulement à cause des conditions météo, mais aussi des dangers infligés par les autorités. Depuis des mois, des petites embarcations similaires sont régulièrement prises pour cibles.
8 morts sur 10 barques
Plus d'une vingtaine de bateaux ont été frappés en trois mois par l'administration Trump, entraînant plus de 80 morts. Ce réseau d'exfiltration est conscient des risques et agit avec une préparation minutieuse depuis deux mois. Toujours selon le Wall Street Journal, un détail explosif émerge : les organisateurs de l’opération auraient contacté l’armée américaine avant de partir. L’objectif ? Informer les forces des États-Unis présentes dans la région que cette modeste barque ne constituait pas une cible, mais transportait une passagère d’un seuil important. L’administration Trump a serait informée des opérations, mais le degré d’implication des États-Unis reste flou. Le Pentagone et l’US Navy refusent de commenter ces spéculations.
Un soutien inattendu
Comme le rapporte le Wall Street Journal, pendant que la barque fend les eaux tumultueuses, deux F-18 américains pénètrent le golfe du Venezuela et évoluent en cercles pendant une quarantaine de minutes près de la trajectoire menant à Curaçao. Cela représente l'incursion la plus proche de l’espace aérien vénézuélien depuis le commencement de l’expansion militaire américaine dans la zone en septembre dernier.
Vers quinze heures, ce mardi, l'embarcation atteint enfin Curaçao. À l'arrivée, un spécialiste américain des « extractions » l'attend, envoyé par l'administration Trump. Ce contrepoint à la réalité officielle met en lumière la nature délicate et secrète de l'opération. Une fois dans une chambre d’hôtel impersonnelle, Machado réalise le chemin parcouru depuis son éviction des sphères légales, le 30 juillet 2024, date à laquelle elle avait dû disparaître pour éviter la prison, marquant un précédent dans un Noël passé seule, loin de ses enfants.
Au même moment, à des milliers de kilomètres, Oslo se prépare. Journalistes, diplomates et parlementaires s'agglutinent avant la cérémonie du Nobel. Pourtant, le mystère demeurant : personne ne sait si la lauréate pourra assister à l'événement. Le directeur de l’Institut Nobel, face à cette incertitude, confirme ne rien savoir quant à sa localisation.
Le vol vers la liberté
Alors que le jour se lève sur Curaçao, un jet privé, affrété par un contact à Miami, attend pour relier l’île à la capitale norvégienne, avec une escale à Bangor dans le Maine. Avant de monter à bord, María Corina enregistre un rapide message audio, annonçant sa gratitude envers ceux qui ont risqué leur vie pour cette évasion. Dans ce message, elle évoque aussi les Vénézuéliens qu’elle représente,un peuple aspirant à la liberté et à l'autonomie, une critique directe de l'héritage clientéliste laissé par Hugo Chávez.
Le vol décolle, marquant ainsi la fin d'une clandestinité. À 58 ans, celle qui aurait pu être présidente du Venezuela sans l'ingérence de Maduro, s'envole vers une reconnaissance internationale. À son arrivée à Oslo, elle est applaudie et acclamée par des centaines de personnes : une première apparition publique touchante empreinte d'une émotion palpable.
María Corina Machado a transcendé la lutte personnelle contre Nicolás Maduro pour représenter un enjeu politique plus vaste, décrivant le Venezuela comme une « base avancée » d’un système criminel. Elle poursuit un rêve de transformation, où l'énergie du pays ne serait plus synonyme d'oppression, mais d'espoir et de prospérité. Son parcours est emblématique d'une résilience face à l'adversité instaurée par le régime en place. Ce n'est qu'une étape pour elle ; son véritable horizon demeure Caracas.