Ces dernières années, la France a vu son instabilité politique s’intensifier, alimentant des débats autour de la solidité même de la Ve République. Ce qui semblait jadis relever de la science-fiction politique, comme une possible crise de régime, prend aujourd’hui une tournure inquiétante. Pour Nicolas Roussellier, historien spécialisé dans l’histoire des institutions françaises, la situation actuelle ne signale pas une régression, mais une transition vers un autre modèle. Dans son ouvrage La force de gouverner, Le pouvoir exécutif en France, XIXe-XXIe siècles, il explore les fondements de la République d’aujourd’hui. Il argue que si la domination du pouvoir exécutif a facilité des décennies de stabilité, celle-ci est désormais remise en question. Dans cet entretien, il livre son analyse de ces changements politiques et les perspectives futures pour le pays.
EN BREF
- La France fait face à une crise d’instabilité politique avec des implications pour la 5e République.
- Nicolas Roussellier propose de considérer cela comme une transition plutôt qu’un retour au parlementarisme instable.
- La nécessité d’un compromis et d’un réajustement du système politique est accentuée, à l’image des exemples étrangers.
Nicolas Roussellier rappelle tout d’abord l’histoire du rapport de force entre le pouvoir exécutif et le législatif en France. "C’est une histoire qui s’étend sur deux siècles", souligne-t-il. La période de domination parlementaire de la IIIe République contraste avec l’hégémonie exécutive qui a prévalu depuis 1958. On évoque souvent le pouvoir du président de la République, mais ce dernier a également une responsabilité envers un Parlement qui doit fonctionner. La stabilisation du pouvoir a permis récemment de faire face à des crises, mais elle repose sur un « fait majoritaire » qui, aujourd’hui, s’avère moins fiable.
Ce phénomène de l’émergence d’une majorité au parlement après les élections présidentielles semblait évident. Cependant, la dissolution de 2024 a révélé la fragilité de ce système. En effet, ce lien privilégié entre l’exécutif et l’assemblée s’est fissuré. Certains experts évoquent un retour à l’instabilité qui caractérisait la IVe République. Pour Roussellier, cette appréhension est injustifiée. "Le parlementarisme en France a mauvaise réputation, mais il a aussi produit de grandes avancées", déclare-t-il, mettant en lumière le rôle positif des institutions entre 1870 et 1920.
Il est indéniable que ces dernières décennies ont été marquées par des succès tels que la croissance économique, l’industrialisation et d’importantes réformes sociales. Les grands projets, comme le TGV, illustrent également cette période de prospérité et légitiment le pouvoir exécutif, jugé capable de mener le pays vers l'avenir. Toutefois, comme l'affirme Roussellier, "l’État fort ne produit plus de résultats positifs." Aujourd'hui, il fait face à une multitude de crises allant des infrastructures scolaires à la dette publique.
Cette situation met à mal la capacité du pouvoir exécutif à faire passer des réformes impopulaires. Roussellier évoque des exemples étrangers, comme celui de la Suède, qui a su établir un consensus autour de la réforme des retraites grâce à un large accord entre différentes tendances politiques. La solidité de cette démarche repose sur la capacité des acteurs à négocier et à s'accorder, ce qui a fait défaut dans le contexte politique français actuel. "Il faut une adhésion plus large", conclut-il.
À l’heure où beaucoup s’interrogent sur l’avenir politique du pays, Roussellier propose de considérer que nous sommes face à une transformation du régime, plutôt qu’à une crise. "Nous entrons dans une période indéterminée, où coexistent plusieurs possibles", affirme-t-il. D’un côté, une tentation d’un pouvoir renforcé similaire à celui de Trump, qui ajouterait une certaine verticalité à la prise de décision. De l'autre, une perspective démocratique, lente mais nécessaire, où le compromis pourrait redevenir une valeur refuge.
Il insiste sur le fait que beaucoup de Français aspirent à un fonctionnement plus conciliant et participatif du système politique. Ce désir de compromis se heurte cependant à une école de pensée politique où les symboles prennent le pas sur la réalité du dialogue. Entre ces deux extrêmes, l'espace politique pourrait se redessiner pour laisser place à un nouveau paradigme qui évite le clivage et privilégie le consensus, source d’avancées durables.
Le défi pour le pays est de dépasser une conception désuète de la démocratie, ancrée dans l’idéal d’un pouvoir fort propulsé par un fait majoritaire fantasmatique. Roussellier invite à envisager un équilibre qui se construit par le débat et la négociation. Ainsi, il est crucial de se préparer à évoluer vers un modèle où le pouvoir ne serait plus monopolisé mais partageable, créant ainsi une dynamique politique plus saine pour l’avenir.