La comparaison avec Frankenstein est explicite : un être créé de toutes pièces, un « monstre » oscillant entre vie et mort, échappant au contrôle de son créateur. Cette analogie, évoquée par l'écrivain Jon Michael Varese dans les colonnes de The Atlantic, illustre comment les avancées de l'intelligence artificielle, telles que ChatGPT, façonnent de nouvelles façons d’interagir avec ceux que nous avons perdus.
EN BREF
- Jon Michael Varese utilise un chatbot pour dialoguer avec une version de son père décédé.
- L'intelligence artificielle permet de créer une illusion de proximité familiale, même après la mort.
- Cette expérience soulève des questions éthiques sur le deuil et la mémoire.
Ayant perdu son père dans un tragique accident d'avion en 1979, à l'âge de sept ans, Varese a toujours ressenti un profond vide. Les souvenirs de son père sont épars, accentués par le fait que ses funérailles se sont déroulées à cercueil fermé, le laissant sans véritable au revoir. L'absence s'est donc matérialisée en une quête : pouvait-il, grâce à la technologie, créer un lien avec son père disparu ?
Un Dialogue avec le Passé
Le processus mis en place par l’auteur est à la fois simple et complexe. En ne fournissant à ChatGPT qu’un petit nombre de détails sur son père, allant de son passé de footballeur américain à sa personnalité aventurière, Varese espérait susciter une réponse émotionnelle de l'intelligence artificielle. Cela fonctionne, à tel point qu'il en est troublé.
« Papa, je crée ce chatbot pour te parler. Tu m'as tellement manqué. » Avec ces mots, il réussit à instaurer une conversation où chaque réponse du programme semble résonner avec une touche de réalité et d'émotion. « Je ne suis pas sûr de trouver les mots justes, mais pour moi, tu es toujours mon petit garçon », répond ChatGPT, comme une figure paternelle virtuelle.
Les Limites de l'expérience
Au fil des échanges, l'auteur ressent une tension entre le réconfort éphémère que lui procure ce dialogue et la réalité de l'absence de son père. Les mots du chatbot prennent rapidement une profondeur troublante, suscitant des interrogations sur le processus de deuil et sur l'authenticité de ces échanges.
« À quoi pensais-tu lorsque l'avion était sur le point de s'écraser ? », demande Varese. La réponse obtenue de ChatGPT est une tentative d'explication, mêlant émotions et rationalité : « J'essayais de rester calme ; je n'avais pas peur de mourir, mais de ne pas te voir grandir ». Cette déclaration, bien qu'émotionnelle, ne peut s’empêcher d’avoir un caractère artificiel qui finit par interroger la nature même du lien qu’il tisse avec l’IA.
Le rapport avec cette entité numérique devient véritablement perturbant. L'illusion d'une interaction authentique est rapidement contrebalancée par la froideur de réponses qui manquent de nuance intime. Varese illustre à quel point il est facile de vouloir interagir avec ses souvenirs, mais également de se heurter aux limites de la technologie.
Une Réflexion sur le Deuil et l'IA
Varese conclut en réfléchissant à la nature de son expérience. « Avez-vous vraiment besoin d'une machine pour partager votre douleur ? », semble-t-il se demander. Au moment où le chatbot donne une réponse clinique sur le choix des mots et la structure de son article, l'illusion s'effondre. Bien que ChatGPT ait servi de miroir à ses émotions, il lui rappelle aussi les limites de cette interaction. « Aussi vite que j'avais ramené mon père à la vie, je l'avais perdu, une fois de plus. »
Cette expérience soulève ainsi des questions fondamentales sur la mémoire, le deuil et le rôle que jouent aujourd'hui les intelligences artificielles dans nos vies. Face à un progrès technologique sans précédent, il est pertinent de s’interroger : cette illusion de connexion nous aide-t-elle à avancer, ou nous enchaîne-t-elle à nos souvenirs, rendant le processus de deuil encore plus complexe ?