Difficile de rester indifférent face à un parcours aussi impressionnant. Avec plus de trente diplômes honorifiques à son actif et membre de plusieurs académies, Steven Chu, 77 ans, est un scientifique de renom. Diplômé de l'université de Berkeley en Californie, il a co-remporté le prix Nobel de physique en 1997 pour ses travaux sur le refroidissement et le confinement atomique grâce aux lasers. Il a exercé comme secrétaire à l'énergie sous l'administration Obama de 2009 à 2013 avant de retourner à la recherche. Ce parcours illustre une vision du service national, bien éloignée du monde politique traditionnel.
Professeur à Stanford, Steven Chu est réputé pour être écouté attentivement. De passage en France, il a donné une interview à L'Express entre deux conférences à l'ESPCI Paris-PSL, où il préside le conseil scientifique international. Au cours de cet échange, il aborde plusieurs sujets cruciaux, notamment la transition énergétique mondiale, encore trop lente malgré des avancées encourageantes. Il évoque également l'importance de la science et de l'innovation, ainsi que le virage climatosceptique adopté par le gouvernement qu'il a un jour servi.
EN BREF
- Steven Chu, prix Nobel de physique, souligne la lenteur de la transition énergétique mondiale.
- Il met en avant les investissements nécessaires pour décarboner l’industrie, notamment l’agriculture.
- Chu appelle à une collaboration internationale pour faire face aux enjeux climatiques.
Lors de l'entretien, Steven Chu a fait une métaphore saisissante en comparant les efforts mondiaux pour éviter un désastre climatique à ceux tentant de détourner un Titanic après avoir aperçu un iceberg. Sommes-nous condamnés à sombrer ? Il répond par l'optimisme tempéré, précisant que bien que les changements prennent du temps, il est vital de commencer à agir dès maintenant.
Selon lui, l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 semble inatteignable. Il souligne que le terme "zéro" signifie exactement cela pour tous les secteurs, y compris l'agriculture. Le protoxyde d'azote, par exemple, est un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2 et constitue un défi majeur. Avec 8,2 milliards d'humains aujourd'hui, et potentiellement 10 milliards demain, l'augmentation de la richesse sera nécessairement accompagnée d'une utilisation accrue des engrais, rendant la décarbonation particulièrement complexe.
Cela dit, des progrès significatifs ont été réalisés. Par exemple, les carburants d'avion durables devraient voir le jour d'ici la moitié du siècle. De même, une grande partie du réseau électrique pourra être décarbonée. Toutefois, l'augmentation de la part des énergies renouvelables soulève encore de nombreuses questions, notamment sur la coordination des systèmes électriques et le stockage de l'énergie, qui devront devenir des priorités. Chu encourage vivement l'installation de stations de transfert par pompage hydraulique dans le monde entier, tout en travaillant sur des batteries aqueuses destinées à répondre à ces enjeux.
Steven Chu est également admiratif de la manière dont la Chine a embrassé la transition énergétique. Autrefois leader dans l'éolien, l'Europe doit maintenant composer avec des concurrents chinois qui se montrent plus efficaces et moins coûteux. "La Chine est le plus grand installateur d'énergies renouvelables au monde", affirme-t-il, et son approche déterminée représente un signal d'alarme pour l'Europe et les États-Unis. Si ces derniers continuent à négliger le secteur, le fossé risque de se creuser davantage.
Le débat autour des centrales nucléaires a également été abordé. Chu s'inquiète du fait que les États-Unis et la France semblent avoir perdu leur savoir-faire industriel dans ce domaine, tandis que la Chine excelle dans la construction de réacteurs à des coûts réduits. Il plaide pour une réhabilitation des pratiques industrielles, soutenant l'idée de maintenir des équipes de construction stables sur de multiples projets pour favoriser l'expertise. "Il faut réapprendre à construire", insiste-t-il.
Enfin, il met en exergue la nécessité d'une collaboration accrue entre les pays sur des enjeux tels que la gestion des déchets nucléaires. Selon lui, il est crucial d'explorer des solutions géologiques et d'envisager des partenariats internationaux pour le stockage en toute sécurité. En conclusion, Chu soulève une question essentielle : seront-nous capables d’agir à la hauteur des enjeux climatiques qui se présentent à nous ? Le soutien des jeunes, désireux de changer les choses, pourrait être la clé de voûte d'une transformation dans ce combat urgent et nécessaire.