Semaine de crise à la tête du quotidien sportif L'Équipe. Trois jours après un premier vote des salariés rejetant le plan de réorganisation, des inquiétudes subsistent concernant la ligne éditoriale. C'est dans ce contexte tendu que Matthias Gurtler, le directeur des rédactions, reçoit une motion de défiance impressionnante.
EN BREF
- 92,8 % des salariés ont voté contre la confiance au directeur des rédactions.
- Le plan de réorganisation prévoit la suppression de plusieurs postes clés.
- Les inquiétudes portent sur une potentialisation de la qualité au bénéfice du volume d'informations.
Lors d'une assemblée générale, le 13 novembre dernier, 92,8 % des votants ont répondu « non » à la question posée : « Avez-vous confiance dans la capacité du directeur des rédactions à mener la réorganisation, à préserver les emplois et à protéger la ligne éditoriale des titres de L'Équipe ? » Environ 250 personnes sur les 350 journalistes composant la rédaction ont participé à ce scrutin, témoignant ainsi d’une mobilisation significative pour exprimer leur désaccord.
Si la majorité des salariés comprend la nécessité d'accélérer la transition numérique, les méthodes proposées par la direction suscitent des réticences. Pour atteindre l’objectif ambitieux de 20 millions de visiteurs uniques mensuels (contre 13,7 millions actuellement), la nouvelle direction suggère une « multiplication de brèves à clics faciles » et une « trop grande présence de people », allant ainsi contre la tradition de qualité qui a fait la réputation de ce média. Plusieurs salariés craignent une « perte d'ADN du journal », un sentiment qui ressort dans une synthèse restituée par la société des journalistes (SDJ) dans un courriel interne envoyé le 10 novembre.
Le contenu au cœur des préoccupations
Les inquiétudes concernant la ligne éditoriale se doublent d'interrogations sur l’identité même de L'Équipe. Les salariés jugent que la direction semble privilégier des formats plus superficiels au détriment d’articles fouillés et critiques, essentiels au journalisme d’investigation. Cette évolution, si elle se confirmait, pourrait non seulement affecter la qualité, mais aussi l’image de marque du quotidien, très respecté dans le paysage médiatique français.
Le plan de transformation actuellement discuté prévoit la suppression de six postes d'éditeur (sur vingt-neuf) et de deux postes de correcteur (sur cinq). En contrepartie, trois postes de rédacteur en chef "info desk", un poste de chef d'édition et deux postes vidéo seraient créés. Bien que la direction affirme que l'objectif n'est pas de réduire la masse salariale, cette réorganisation entraînerait inévitablement la disparition de plusieurs emplois, comme le soulignent les syndicats. À cela s'ajoutent des non-remplacements constatés dans divers départements, notamment en photographie et parmi les reporters, depuis le début de l'année.
Réactions des acteurs internes
Ralf Woodall, secrétaire du comité social et économique (CSE) de L'Équipe, a exprimé clairement son mécontentement en déclarant :
« La direction continue de faire comme si de rien n'était, ignorant le vote précédent de la rédaction. Le “cause toujours” de nos interlocuteurs doit cesser. »
La crise actuelle, marquée par une défiance aussi forte, met en lumière les fractures au sein de la rédaction. Chaque salarié ressent l'enjeu de défendre non seulement son poste, mais aussi l'essence même du journal. Dans une ère digitale où le contenu se retrouve souvent relégué derrière des impératifs de rentabilité, il est crucial de garder à l'esprit les valeurs fondamentales qui ont toujours guidé le travail d'information — la véracité, l'analyse approfondie et le service au lecteur.
La situation à L'Équipe est emblématique d'un défi plus vaste auquel fait face le secteur de la presse, confronté à une mutation rapide des formats et des attentes de son public. Alors que le paysage médiatique évolue, les luttes internes pour préserver une identité forte et une ligne éditoriale cohérente demeurent essentielles. Il ne reste qu'à observer si la direction et les rédactions sauront trouver un terrain d'entente pour naviguer dans ces eaux tumultueuses.