En mathématiques, le principe de transitivité constitue une notion fondamentale dont l’enseignement commence au collège. Il stipule que si un premier élément est en relation avec un second, et que ce second est en relation avec un troisième, alors le premier est également en relation avec le troisième. Prenons l’exemple de l’égalité ou de la supériorité : si a est supérieur à b et si b est supérieur à c, alors, logiquement, a doit être supérieur à c. Ce principe est considéré par de nombreux économistes comme un axiome de la rationalité. Ainsi, si un individu préfère un bien A à un bien B, et bien B à un bien C, il devrait logiquement préférer A à C.
EN BREF
- Le principe de transitivité enseigne des relations logiques en mathématiques et en économie.
- Jean-Luc Mélenchon pourrait affronter des problèmes d'intransitivité lors des prochaines élections, en raison des préférences électorales.
- Les électeurs de gauche doivent clarifier leurs priorités pour éviter des résultats contradictoires.
Cependant, la vie politique peut parfois mener à des choix qui ne respectent pas ce principe. Une des premières réflexions à ce sujet provient de Condorcet, qui, dans son essai sur l'analyse de la probabilité des décisions collective, a observé que, dans certaines circonstances, lorsqu’un groupe délibère pour choisir parmi plusieurs options, le résultat peut être incohérent. Pour illustrer cela, prenons un groupe hypothétique de 100 électeurs : 35 préfèrent A à B et B à C, 33 préfèrent B à C et C à A, enfin, 32 préfèrent C à A et A à B. En regardant ces choix deux à deux, on pourrait conclure que A est préférable à B, B est supérieur à C, mais que C est finalement meilleur que A. Cela constitue ce que l’on appelle le paradoxe de Condorcet, révélant une contradiction au sein des préférences collectives, même lorsque chaque membre fait preuve de logique.
Un paradoxe qui menace les élections
Ce problème de l'intransitivité pourrait peser sur les prochaines élections présidentielles en France, notamment en raison du scrutin à deux tours. Imaginons un scénario dans lequel Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France Insoumise, passerait le premier tour. Les électeurs pourraient alors montrer une préférence pour lui par rapport aux autres candidats de gauche. Cependant, il semble très probable qu'il ne puisse pas battre le candidat du Rassemblement National, qui pourrait le devancer. En parallèle, un autre candidat de gauche pourrait être préféré à cet adversaire d’extrême droite, mettant ainsi les électeurs dans une situation paradoxale d'intransitivité.
Cette projection souligne le risque associé à la stratégie insoumise de confrontation du débat politique. Jean-Luc Mélenchon a réussi à devenir l’une des figures politiques les plus contestées de France. Selon le dernier baromètre Ipsos pour La Tribune Dimanche, il rivalise avec Éric Zemmour pour le titre de la personnalité la plus impopulaire. Ses partisans déclarés semblent être considérablement moins nombreux que ceux qui s'opposeraient à lui, advenant une éventuelle présidence.
Si l'élection présidentielle se déroulait avec un unique tour, le Rassemblement National aurait de fortes chances de l'emporter. Toutefois, la tenue d'un scrutin à deux tours pourrait offrir aux électeurs des possibilités alternatives, à condition qu'ils s'accordent sur leurs préférences finales. Si leur priorité est d'éradiquer le RN du paysage politique, un vote pour Mélenchon pourrait s’avérer plus futile que réellement utile, même si ce dernier est perçu comme le candidat le plus apte à rassembler la gauche.
À l’inverse, si les électeurs choisissent de faire entendre leurs convictions politiques lors du premier tour, la question devient alors plus délicate. Trancher rationnellement entre ces deux options est un véritable défi. Ce qui serait regrettable, c'est de constater que les électeurs se laissent influencer par un fractionnement temporel de leur raison, tombant dans le piège de l’intransitivité. Cela pourrait mener à des résultats inattendus lors du second tour des présidentielles, laissant ainsi un goût amer d’incohérence.
*Gérald Bronner est sociologue et professeur à Sorbonne Université.